Avec « Un Balcon en forêt » de Julien Gracq , je viens de faire une petite incursion dans la littérature, j’entends le genre littéraire qui fait un usage esthétique du langage écrit et non le terme générique.
Qu’est ce qui me pousse à sortir de ma catégorie de snotneus juste bon à savourer du roman de gare et autres best-sellers programmés et marketés par les majors de l’édition ,pour aller frayer avec la production à diffusion confidentielle de la catégorie reine, celle des authentiques intellectuels hermétiques, désagréables et mal habillés ?
Tout simplement, fidèle la presse magazine Française de Qualité, j’ai été matraqué d’articles lors du décès de Julien Gracq en décembre 2007. À force de lire de dithyrambiques hommages sur cet auteur, l’envie m’a prise, (non pas un mardi comme Renaud) mais un vendredi d’aller me frotter à de l’authentique… Pour aborder cette œuvre monumentale, j’ai choisi le titre le plus souvent cité (on ne se refait pas) « Un balcon en forêt ».
Directement, les premières impressions confirment les attentes : ça se mérite à bien des égards mais ça en vaut la peine.
Rien n’est simple : ll faut d’abord se procurer l’ouvrage ; impossible de trouver cela – de stock j’entends – dans une librairie du genre Club ou autres, encore moins dans un supermarché ou dans un lieu pour stoefer / eurocrate bruyant / blogger français à la Cook and Book (Wolubilis). Non, pour obtenir ce genre de titre, le passage obligé c’est un vendeur en ligne (ou alors de grands libraires type Furet du Nord ou Filigranes mais alors fort vraisemblablement disponible uniquement dans la collection Pléiades). Je n’ai évidemment pas fait des perquisitions exhaustives chez tous les libraires bruxellois pour valider le théorème.
Ensuite, l’ouvrage déniché (dans mon cas chez un vendeur en ligne bien connu), l’ouvrage se lit au couteau. Hasard ou coïncidence, j’ai choisi une édition non massicotée ; les différents cahiers composant le livre ne sont pas coupés. L’œuvre se consomme donc « au coupe-papier et lent dévoilement du texte… ».
Le vocabulaire est évidemment à la hauteur : « rimer, consulter mie, languide, tuffeau, sphaigne, pelade, sente, oceller, déjeté, chauvir… » un dictionnaire sérieux est à conserver à portée de main, si l’on veut selon l’expression consacrée « tirer la substantifique moelle » de cette prose.
Morceau choisi : «Grange regardait, le front tiré par l’attention et par le sentiment d’un suspens étrange. Il y avait un charme puissant à se tenir là, si longtemps après que minuit avait sonné aux églises de la terre, sur cette gâtine sans lieu épaissement saucée de flaques de brume et toute mouillée de la sueur confuse des rêves, à l’heure où les vapeurs sortaient des bois comme des esprits.
Quand il faisait signe de la main à Hervouët, et que tous deux un moment suspendaient leur souffle, le grand large des bois qui les cernait arrivait jusqu’à leur oreille porté sur une espèce de musique basse et remuée, un long froissement grave de ressac qui venait des peuplements de sapins du côté des Fraitures, et sur lequel les craquements de branches au long d’une brisée de bête nocturne, le tintement d’une source ou parfois un aboi haut qu’excitait la lune pleine montaient par instants de la cuve fumante des bois.
Á perte de vue sur la garenne vague flottait une très fine vapeur, qui n’était pas la fumée obtuse du sommeil, mais plutôt une exhalaison lucide et stimulante qui dégageait le cerveau et faisait danser devant lui tous les chemins de l’insomnie. La nuit sonore et sèche dormait les yeux grands ouverts ; la terre sourdement alertée était de nouveau pleine de présages, comme au temps où on suspendait des boucliers aux branches des chênes. »
Moi je dis, une fois qu’on en a goûté… on en redemande !
Julien Gracq, Un balcon en forêt