Comment s’appelait il encore ? Plus qu’une vague idée… oui quelque chose comme Eric Vanquelquechose, un nom bien néérlandophone. Il habitait Jette. Il était grand, costaud et arborait une coupe de cheveux en brosse et se laissait pousser à l’occasion une moustache. Il pouvait venir aux cours avec une énorme malette samsonite un jour, l’autre avec des sacs de courses de supermarché (il venait de faire ses courses pour le soir) ou tout simplement les mains dans les poches.
Plus de quinze ans après notre dernière rencontre, je ne sais pas pourquoi je repense aujourd’hui à lui.
Lorsque l’on est étudiant, on croise les destins d’un nombre incalculable de gens et les pauses cigarettes de l’époque permettaient en l’espace de quelques minutes de faire des rencontres étonnantes.
Avec le recul, je me rends compte qu’étonnamment mes interlocuteurs se livraient souvent beaucoup durant ces brefs échanges pourtant totalement informel.
Certains mots échangés me reviennent parfois, résonnant drôlement dans mon esprit. Ces dialogues pouvaient être dans certain cas assez surréalistes, irréels ou enrobés d’une signification qui m’échappe toujours.
Eric m’a, par exemple, expliqué qu’une nuit, fort tard, il avait tenté sans succès de dépasser un poids lourd sur l’autoroute. Pied au plancher dans sa vieille Renault, il n’avait pu que se maintenir à la hauteur du camion sans remorques qui roulait à plus de 160 Km/h.
Une autre fois, à la fin de la pause, lorsque nous reprenions l’ascenseur, il m’a expliqué que par deux fois, il avait quitté des petites amies parce qu’elles voulaient un enfant de lui.
Eric vivait drôlement. Il avait tenté une première candidature à Solvay et avait échoué. Il continuait cependant à donner des cours particuliers de mathématiques pour se faire un peu d’argent. Argent qu’il dépensait en achetant de vieilles caisses pourries, qu’il retapait et revendait ensuite. Lorsqu’il était à Solvay, il était présent dans l’auditoire Janson lorsqu’une bombe au savon y avait explosé (à l’époque, un déséquilibré avait fait plusieurs tentatives d’attentats à l’ULB).
Une autre fois, il était venu au cours accompagné de sa petite amie, lourdement chargés des achats alimentaires de la semaine. Son amie, n’étant pas étudiante de l’établissement, fut priée de vider les lieux par le professeur. Elle s’exécuta sans un mot emportant plusieurs sacs. L’un deux laissait entrevoir une botte de poireaux énorme.
Eric lorsqu’il finissait un rhume avait toujours des quintes de toux spectaculaires, sonores, énormes et rocailleuses, qui faisaient se retourner un auditoire entier. Chacun, curieux d’observer quel être vivant (et de quel ordre animal) pouvait émettre une toux de poitrinaire en phase terminale.
Je ne sais pas ce qu’il est devenu, il n’a pas, je crois, terminé l’année académique.