L’espoir est une chose ridicule

Après « De l’Esprit chez les abrutis », Aleksandar Hemon nous revient en force.

« Un serveur, l’air de terriblement s’ennuyer, était en train de lire les journaux et son corps avertissait – suppliait – le voyageur fatigué de s’en aller et de ne jamais revenir. Deux hommes étaient attablés. De temps à autre, leur front entrait en contact au-dessus du cendrier plein posé au centre géographique de la table. Ils se disputaient à propos de je ne sais quoi, en vidant d’un trait verre de vodka sur verre de vodka (j’ai espéré à un ou deux moments, que ce soit de l’eau) entre des accès fleuris d’une affection toute réthorique. D’après ce que j’ai pu comprendre, le point central de leur dispute concernait un certain Evguéni, qui avait pour caractéristique d’être à la fois un épouvantable salopard et l’homme le plus gentil qui puisse exister. Avec cet Evguéni, on ne savait jamais à qui on avait affaire, il pouvait vous planter un couteau entre les deux yeux, ou tout aussi bien vous donner sa chemise, pourvu que vous le lui demandiez: ils ont fini par se mettre d’accord, se sont embrassés et ont englouti un verre de vodka, et puis encore un autre. C’est alors que j’ai été frappé d’une vérité – et je garde encore un bleu de la taille de l’océan à la place du choc -, à savoir qu’il n’y avait absolument jamais aucune raison de parler de moi, que j’étais étranger à la quasi-totalité des conversations qui se déroulaient à chaque minute en ce monde. Et j’ai envié Evguéni, le fils de pute le plus gentil qui puisse exister. »

Aleksandar Hemon, L’espoir est une chose ridicule.

 

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